Les lieux d'enfermement à la frontière franco-italienne

Depuis 2019, les locaux d’enfermement des personnes étrangères à la frontière franco-italienne (et notamment ceux de Menton pont Saint-Louis et de Montgenèvre) sont présentés par l’administration française comme des locaux de « mise à l’abri » (LMA), permettant d’assurer la « sécurité des personnes » et de leur garantir un « lieu de repos ».

La note d'analyse Le guide de sensibilisation


Abri
Définition proposée par le Larousse:
  • Lieu où l'on peut se mettre ou mettre quelque chose à couvert des intempéries, du soleil, du danger, etc. ; installation construite à cet effet.
  • Ce qui préserve de quelque mal, ce qui est un refuge, une protection.

Définition proposée par Le Robert :
  • Endroit où l'on est protégé (du mauvais temps, du danger). Construction, installation destinée à protéger. À couvert des intempéries, des dangers ; en lieu sûr. Se mettre à l'abri, s'abriter.
  • À couvert contre (qqch.).

Derrière ce terme les autorités se présentent presque comme les nouveaux « humanitaires » de la frontière franco-italienne. L’emploi du terme « mise à l’abri » par les autorités a simplement pour objectif d’édulcorer la pratique d’enfermement illégal à la frontière et de laisser penser que l’administration a pour souci la protection des personnes en migration qu’elle arrête à la frontière.
La description issue des témoignages et observations qui va suivre montre que ce n’est pas la protection des personnes qui prime mais leur refoulement, au détriment du respect de leurs droits.

L’absence de cadre légal des lieux d’enfermement de la frontière franco-italienne

Tout lieu privatif de liberté ayant pour conséquence d’impacter le droit à la liberté d’aller et venir doit relever d’un cadre légal encadrant cette situation afin de préciser la procédure associée et les droits des personnes enfermées. Les personnes enfermées dans les LMA de la FFI ont pour point commun d’être considérées comme des personnes étrangères en procédure de non-admission. L’analyse du cadre légal qui pourrait expliquer ce que sont les locaux d’enfermement à la frontière franco-italienne invite dès lors à se pencher sur le CESEDA et sur les locaux que ce code prévoit pour le maintien administratif de personnes étrangères.

La rétention administrative

Un centre de rétention administrative (CRA) est un espace de privation de liberté dont le but est l'éloignement du territoire d’une personne dont le statut de séjour a été jugé irrégulier. La décision du placement en rétention administrative est prise par le préfet pour une durée de quarante-huit heures. Le juge des libertés et de la détention (JLD) statue sur la légalité et sur la possibilité de prolonger la période de rétention pour une durée de 28 jours à l’issue de laquelle le même juge peut décider d’une seconde prolongation de 30 jours. Il peut de nouveau décider d’une prolongation exceptionnelle de 15 jours, renouvelable une fois, portant ainsi la durée maximum d’un placement en CRA à 90 jours. Cette privation de liberté est encadrée par le CESEDA.

A la frontière franco-italienne, les personnes enfermées ne sont pas entrées sur le territoire français et ne pourraient pas faire l’objet d'une rétention administrative alors que la loi prévoit ce type de privation de liberté pour les personnes faisant l’objet d’une réadmission Schengen. Aucun arrêté préfectoral n'a créé un local de rétention administrative à Menton ou à Montgenèvre.

La zone d’attente

La zone d’attente (ZA) est définie à l’article L. 341 du CESEDA comme étant des espaces dans les ports, aéroports et gares desservant l’international s’étendant « des points d'embarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles des personnes » mais pouvant aussi inclure des lieux d’hébergement. Les personnes se présentant aux frontières et à qui l'entrée sur le territoire Schengen est refusée peuvent y être enfermées, sur décision de la police aux frontières (PAF) ou de la douane, pour une durée de 4 jours. Le JLD peut prolonger le maintien pour 8 jours, prolongation renouvelable une fois, portant ainsi la durée maximum d'un maintien en ZA à 20 jours (sauf exception). Cette privation de liberté est encadrée par le CESEDA.

A la frontière franco-italienne, les autorités françaises enferment des personnes qu’elles estiment ne pas être entrées sur le territoire français. Les autorités mettent dès lors en œuvre des procédures de refus d’entrée. Cependant, le maintien en zone d’attente n’est prévu que si le refus d'entrée se fait dans un aéroport, un port ou une gare ouverte au trafic international. La procédure de zone d’attente devrait s’appliquer à une frontière ferroviaire, ce qui n’est pas toujours le cas à la frontière franco-italienne. Si à Modane, une zone d’attente a été créée ; ce n’est pas le cas pour les autres gares frontalières et notamment celle de Menton Garavan. Dès lors, les autorités n'appliquent pas les procédures de manière uniforme.

L'absence de cadre légal

Détention arbitraire
Selon le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ancienne Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, « la privation de liberté revêt un caractère arbitraire si un cas relève d’une des cinq catégories suivantes :
  • lorsqu’il est manifestement impossible d’invoquer un fondement juridique quelconque qui justifie la privation de liberté […] ;
  • lorsque la privation de liberté résulte de l’exercice de droits ou de libertés proclamés dans les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et, pour autant que les États concernés soient parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument ;
  • lorsque l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États intéressés, est d’une gravité telle qu’elle rend la privation de liberté arbitraire ;
  • lorsqu’un demandeur d’asile, un immigrant ou un réfugié est soumis à une détention administrative prolongée sans possibilité de contrôle ou de recours administratif ou juridictionnel ;
  • lorsque la privation de liberté constitue une violation du droit international en ce qu’elle découle d’une discrimination fondée sur la naissance ; l’origine nationale, ethnique ou sociale ; la langue ; la religion ; la situation économique ; l’opinion politique ou autre ; le sexe ; l’orientation sexuelle ; le handicap ou toute autre situation, qui tend ou peut conduire à ignorer le principe de l’égalité des droits de l’homme. »

Source : Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, A propos de la détention arbitraire.


En février 2020, le secrétaire d’Etat au Premier Ministre à la question de savoir quelle était la nature des locaux de la PAF Menton et de la PAF de Montgenèvre, répondait : « Ces locaux ne sont ni des locaux de garde à vue, ni des locaux utilisés dans le cadre de la retenue pour vérification du droit au séjour, ni des centres ou locaux de rétention administrative, ni des zones d'attente ».

Les locaux créés à la frontière franco-italienne privant de liberté les personnes étrangères qui se voient refuser l’accès au territoire sont présentés comme des espaces de « mise à l’abri ». Pourtant, il n'existe aucun texte définissant le cadre de ces locaux dits de mise à l'abri. Et les faits démontrent que ce sont bien des lieux d’enfermement.

En effet :
  • Les personnes y étant enfermées sont considérées par les autorités comme ne pouvant pas entrer sur le territoire et devant être refoulées. Elles se voient donc notifier un refus d’entrée sur le territoire français avant leur enfermement.
  • Les personnes y étant enfermées ne peuvent pas exercer leur droit à la liberté d’aller et venir. Bien que les préfectures des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes affirment que les personnes peuvent repartir vers l’Italie si elles le souhaitent, dans les faits, cette possibilité n’est pas effective car elles doivent d’abord passer par un entretien avec les autorités italiennes. Les personnes ne sont donc pas en mesure de repartir quand elles le souhaitent. Le ministère de l’intérieur, dans un mémoire en défense produit devant le Conseil d’Etat en avril 2021 le confirme lui-même : « les forces de l’ordre présentes doivent en outre s’assurer que les NA [non-admis] placés dans cet abri ne quittent pas ce dernier pour entrer plus en avant sur le territoire français et échapper à leur prise en charge par les autorités italiennes ». Il y a dès lors bien contrainte.
  • Les locaux privatifs de liberté sont de surcroit fermés à clef, entourés de barbelés et de grillages, voire de grille anti-évasion, avec également la présence de caméras et une surveillance policière constante.
  • Les locaux privatifs de liberté sont exigus (une dizaine de mètres carrés) et du nombre important de personnes pouvant être enfermées en même temps.
  • Les personnes enfermées n’ont pas de contacts avec l’extérieur ; la venue d’avocats, d’associations, de proches, étant interdite par les autorités.
  • Les personnes peuvent être enfermées quelques minutes ou plusieurs heures.
Par conséquent, les locaux de mise à l’abri, qui n’ont d’abri que le nom, servent à détenir arbitrairement les personnes en provenance directe d’Italie avant leur refoulement vers ce même Etat.