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L'outil collaboratif idéal n'existe pas

Lorsque l'on souhaite mener un projet de manière collaboratif, on peut être tenté de rechercher l'outil idéal, déjà pensé par d'autres et calqué sur nos besoins. Voici quelques éléments pour vous expliquer pourquoi l'outil collaboratif par essence n'existe pas et en quoi effectuer un choix éclairé en la matière est indispensable pour éviter les déconvenues.

L'outil, un pharmakon

La première chose à toujours avoir en tête, c'est que l'outil n'est qu'un outil. Il faut comprendre par là qu'il n'est pas animé d'une énergie propre : le stylo sur la table est une nature morte.

Dans des mains humaines, il va transmettre l'intention de son utilisateur.ice et pourra faire :
  • ce pourquoi il a été conçu - le stylo écrit
  • ce pour quoi il a été détourné dans un sens - le stylo devient le tuteur d'une plante
  • ce pourquoi il a été détourné dans un autre sens - le stylo est démonté pour servir de sarbacane afin de mitrailler les formateur.ices

Bernard Stiegler (Ars Industrialis) décrit ainsi l'outil comme un pharmakon portant en lui trois propriétés faisant de l'outil à la fois :
  • Un remède vecteur d'émancipation,
  • Un poison source d'asservissement et
  • Un bouc émissaire qui camoufle les causes réelles de potentiels dysfonctionnements


L'exemple de Trello

Trello est un service en ligne de gestion des tâches. Il permet par exemple de lister certaines tâches en les rendant visibles à d'autres personnes, d'affecter des tâches à soi et aux autres, etc. À priori ses fonctionnalités peuvent en faire l'outil idéal pour mener un projet de manière collaborative.

Reprenons la notion de pharmakon avec cette exemple :
  • Trello le remêde : dans une association d'éducation populaire, chacun a vue sur l'ensemble du tableur, chacun va voir ce qu'il reste à faire le matin, s'attribue lui même une tâche pour la journée, signale aux autres lorsque c'est fait et leur communique où retrouver toutes les informations. Personne n'imagine fonctionner autrement tellement c'est idéal !
  • Trello le poison : un nouveau manager débarque dans l'entrepôt logistique. Afin de mieux asseoir son autorité et de contrôler chaque minute de temps des salariés il utilise Trello. Le matin les salariés doivent s'y connecter pour consulter les tâches qui leurs sont assignées. Seul le manager peut agir sur l'outil, les salariés ne pouvant que regarder les tâches qui leurs sont attribuées. Tout le monde peut voir ce que les autres font ce qui est générateur de jalousie, de conflit et de sentiment de surveillance permanent.
  • Trello le bouc émissaire : dans une grande entreprise coopérative, Trello est utilisé pour se répartir les tâches sauf que tout le monde ne prend pas le temps d'y aller. Michel n'a pas réussir à s'inscrire puisque les mails vont dans les spams. Yves trouve que le fond d'écran vert c'est pas super génial niveau karma spectral. Au final rien ne va plus mais c'est la faute de l'outil. Pas de l'incapacité du collectif à accompagner Michel sur sa boite mail. Pas de l'incapacité du collectif à valider les besoins de chacun et à faire des concessions sur le fond d'écran. Pas de l'incapacité du collectif à poursuivre l'usage de son tableau blanc mis à jour à chaque pause café, parce que franchement c'est pas assez chouettos quand on fait dans l'innovation sociale coopérative et disruptive.


Faire le deuil de l'outil qui collabore

L'outil ne collabore pas, c'est un groupe humain qui décide de collaborer, qui apprend à le faire et qui finalement choisit ses outils. Seulement alors, les outils deviennent collaboratifs, mais ne le sont jamais par essence.

Cela pourrait paraître décevant, mais c'est finalement rassurant car l'outil que nous souhaitons pour collaborer sereinement est convivial : c'est l'outil qui nous permet de travailler au gré de nos envies, dont nous voulons, pas celui qui travaille à notre place sans nous consulter et encore moins celui qui nous travaille. Pour aller plus loin sur la notion de convivialité (au sens d'Illitch), consultez la fiche dédiée.