58 Le carnaval


De la même manière qu’une personne rêve d’événements fantastiques pour libérer ses forces intérieures qui ne peuvent pas se déployer dans des événements ordinaires, une ville a besoin de ses rêves.

Dans des circonstances classiques, dans le monde d’aujourd’hui, les divertissements disponibles sont soit sains et inoffensifs - aller au cinéma, regarder la télévision, faire du vélo, jouer au tennis, se promener en hélicoptère, aller marcher, regarder le football - ou carrément malades et socialement destructeurs - se shooter à l’héroïne, la conduite imprudente, la violence collective.

Mais l’homme a grand besoin que des processus insensés et inconscients prennent place dans sa vie, sans les libérer au point qu’ils deviennent socialement destructeurs. Il y a, en bref, un besoin d’activités socialement sanctionnées qui sont les équivalents sociaux et extérieurs du rêve.

Dans les sociétés primitives, ce genre de processus était assuré par les rites, les sorciers, les chamans. Dans la civilisation occidentale au cours des trois ou quatre cents dernières années, le cirque, les foires et les carnavals ont été les manifestations les plus probantes et accessibles de la vie secrète et sombre des hommes. Au Moyen-Âge, ce genre d’atmosphère se déployait dans les marchés.

Aujourd’hui, dans l’ensemble, ce genre d’expérience a disparu. Les cirques et les carnavals s’éteignent. Mais le besoin persiste. Dans la «Bay area», en Californie, la foire annuelle de la Renaissance répond un peu à ces besoins, mais reste beaucoup trop fade. Nous imaginons quelque chose de plus, dans le sens suivant: théâtre de rue, clowns, jeux fous dans les rues, sur les places et dans les maisons; pendant quelques semaines, les gens pourraient vivre dans le carnaval; la nourriture ordinaire et l’abri seraient gratuits; ceux qui vivent le jour et la nuit se mélangeraient; des acteurs se mêleraient à la foule et vous entraîneraient, bon gré mal gré, dans des histoires dont la fin est imprévisible; deux hommes combattant avec des sacs sur une pente glissante, devant des centaines de personnes ; des clowns de Fellini, la mort, des fous, s’articuleraient ensemble.

Souvenez-vous du nain bossu de Ship of Fools, la seule personne raisonnable sur le navire, qui dit: «Tout le monde a des problèmes; mais j’ai la chance de porter le mien sur mon dos, où tout le monde peut le voir.»

58 Carnival


Just as an individual person dreams fantastic happenings to release the inner forces which cannot be encompassed by ordinary events, so too a city needs its dreams.

Under normal circumstances, in today's world the entertainments which are available are either healthy and harmless - going to the movies, watching TV, cycling, playing tennis, taking helicopter rides, going for walks, watching football - or downright sick and socially destructive - shooting heroin, driving recklessly, group violence.

But man has a great need for mad, subconscious processes to come into play, without unleashing them to such an extent that they become socially destructive. There is, in short, a need for socially sanctioned activities which are the social, outward equivalents of dreaming.

In primitive societies this kind of process was provided by the rites, witch doctors, shamans. In Western civilization during the last three or four hundred years, the closest available source of this outward acknowledgment of underground life has been the circus, fairs, and carnivals. In the middle ages, the market place itself had a good deal of this kind of atmosphere.

Today, on the whole, this kind of experience is gone. The circuses and the carnivals are drying up. But the need persists. In the Bay Area, the annual Renaissance Fair goes a little way to meet the need - but it is much too bland. We imagine something more along the following lines: street theater, clowns, mad games in the streets and squares and houses; during certain weeks, people may live in the carnival; simple food and shelter are free; day and night people mixing; actors who mingle with the crowd and involve you, willy nilly, in processes whose end cannot be foreseen; fighting -two men with bags on a slippery log, in front of hundreds; Fellini-clowns, death, crazy people, brought into mesh.

Remember the hunchbacked dwarf in Ship of Fools, the only reasonable person on the ship, who says "Everyone has a problem; but I have the good fortune to wear mine on my back, where everyone can see it."




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