94 Dormir en public


Une marque de la réussite dans la conception d’un parc, d’un hall public ou d’un porche, est que chacun puisse y venir et s'y endormir.

Dans une société qui favorise la confiance, le fait que les gens veuillent parfois dormir en public est la chose la plus naturelle au monde. Si une personne s'allonge sur un trottoir ou un banc et s'endort, il est possible de considérer sérieusement cela comme un besoin. S'il n'a pas d'endroit où aller, alors nous, habitants de la ville, devrions être satisfaits qu'il puisse au moins dormir sur les chemins et les bancs publics. Mais bien sûr, il peut aussi s'agir d'une personne qui a un endroit où aller mais qui a préféré, pour un moment, faire la sieste dans la rue.
Cependant notre société n'invite pas à ce genre de comportement. Dans notre société, le fait de dormir en public, tout comme le vagabondage ou la flânerie, est considéré comme le fait de criminels et de marginaux. Dans notre monde, lorsque les sans-abri dorment sur les bancs publics ou dans les bâtiments publics, les citoyens s’agacent et la police rétablit rapidement "l'ordre public".
C'est bien cette sorte de difficulté que nous avons éprouvés, ma bicyclette et moi. A quelques pas de moi, je me suis fait siffler. J'ai levé la tête et j'ai vu un policier. Que faites-vous là ? dit-il. Je suis habitué à cette question, je l'ai comprise immédiatement. Je me repose, lui dis-je. Je me repose, dit-il. Repos, ai-je dit. Tu veux bien répondre à ma question ? cria le policier. Ca se passe toujours de cette manière lorsque je suis réduit à la confabulation. Je crois honnêtement que j'ai répondu à la question qu'on me pose et en réalité je ne fais rien de tel. J'ai fini par comprendre que ma façon de me reposer, mon attitude au repos, à cheval sur mon vélo, les bras sur le guidon, la tête sur les bras, était une violation de je ne sais quoi, de l'ordre public, de la décence publique...Découvrez nos boules Quies POP
Ce qui est certain, c'est que je ne me suis plus jamais reposé de cette façon, les pieds reposant de façon obscène sur le sol, mes bras posé sur le guidon et sur mes bras, ma tête. C'est en effet un spectacle affligeant, un exemple déplorable pour les gens, qui ont tant besoin d'être au contraire encouragés dans leur dur labeur et d'avoir sous les yeux des manifestations de force, de courage et de joie, sans lesquelles il risqueraient de s'effondrer, à la fin de la journée, et de s’écraser au sol. (Samuel Beckett, Molloy.)
Il semble, à première vue, qu'il s'agisse d'un problème purement social et qu'il ne peut être résolu qu'en changeant les attitudes des gens. Mais le fait est que ces attitudes sont largement façonnées par notre environnement spatial lui-même. Dans un environnement où il y a très peu d'endroits pour s'allonger et dormir, les personnes qui dorment en public semblent être contre-nature car elle forment des exceptions.

94 Sleeping in public

It is a mark of success in a park, public lobby or a porch, when people can come there and fall asleep.

In a society which nurtures people and fosters trust, the fact that people sometimes want to sleep in public is the most natural thing in the world. If someone lies down on a pavement or a bench and falls asleep, it is possible to treat it seriously as a need. If he has no place to go - then, we, the people of the town, can be happy that he can at least sleep on the public paths and benches; and, of course, it may also be someone who does have a place to go, but happens to like napping in the street.
But our society does not invite this kind of behavior. In our society, sleeping in public, like loitering, is thought of as an act for criminals and destitutes. In our world, when homeless people start sleeping on public benches or in public buildings, upright citizens get nervous, and the police soon restore "public order."
Thus we cleared these difficult straits, my bicycle and I, together. But a little further on I heard myself hailed. I raised my head and saw a policeman. Elliptically speaking, for it was only later, by way of induction, or deduction, I forget which, that I knew what it was. What are you doing there? he said. I'm used to that question, I understood it immediately. Resting, I said. Resting, he said. Resting, I said. Will you answer my question? he cried. So it always is when I'm reduced to confabulation. I honestly believe I have answered the question I am asked and in reality I do nothing of the kind. I won't reconstruct the conversation in all its meanderings. It ended in my understanding that my way of resting, my attitude when at rest, astride my bicycle, my arms on the handlebars, my head on my arms, was a violation of I don't know what, public order, public decency. . . .
What is certain is this, that I never rested in that way again, my feet obscenely resting on the earth, my arms on the handlebars and on my arms my head, rocking and abandoned. It is indeed a deplorable sight, a deplorable example, for the people, who so need to be encouraged, in their bitter toil, and to have before their eyes manifestations of strength only, of courage and joy, without which they might collapse, at the end of the day, and roll on the ground. (Samuel Beckett, Molloy.)
It seems, at first, as though this is purely a social problem and that it can only be changed by changing people's attitudes. But the fact is, that these attitudes are largely shaped by the environment itself. In an environment where there are very few places to lie down and sleep people who sleep in public seem unnatural, because it is so rare.







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