Le christianisme en Ukraine : une seule religion ?
- Bien que l’Ukraine soit un État laïque depuis l’indépendance de l’Union soviétique en 1991, le christianisme est fortement ancré dans ce pays où le paysage multiconfessionnel n’est pas si évident à cerner. Penchons-nous sur les différentes confessions chrétiennes pratiquées en Ukraine afin de comprendre ce qui éloigne et rassemble le peuple ukrainien sur le plan religieux et culturel.
Etat des lieux
En 2016, 70% de la population ukrainienne se déclarait croyante tout en se divisant entre plusieurs religions et courants, principalement chrétiens. Ainsi, la grande majorité des chrétiens urkainiens sont de confession orthodoxe (78% de la population croyante) suivis à 10% des chrétiens catholiques et à 4% des chrétiens protestants.
Origine du christianisme dans la région géographique ukrainienne
L’Ukraine trouve son histoire fortement attachée à la religion chrétienne depuis les premiers siècles de notre ère. Entre tradition et légende, l'Église orthodoxe prête l’initiation de la prédication du christianisme sur le territoire ukrainien à l’apôtre André, qui aurait prêché l'Évangile autour des territoires de la Mer noire. La légende lui attribue également la fondation de Kiev, l’apôtre aurait planté une croix en bois à l’emplacement de la future capitale.Ces croyances issues des récits oraux populaires témoignent de l’importance accordée à l’origine chrétienne du pays.
Quant aux faits historiques, ceux-ci révèlent que la Rus’ de Kiev, territoire qui correspond à une grande partie de l’actuelle Ukraine, fut christianisée au Xème siècle alors que le roi Vladimir convertit le peuple de Kiev en le faisant baptiser dans le Dniepr.
La Rus’ de Kiev, était un Etat distinct de l’Empire byzantin mais fortement influencé politiquement et religieusement par cet Empire chrétien. Ceci explique qu’au Xème siècle, elle adopte la religion de l’Empire : le christianisme orthodoxe oriental sous l’influence de l’Eglise orthodoxe de Byzance.
Les différentes Eglises orthodoxes ukrainiennes
Il est important de comprendre qu’il n’existe pas une unique Église orthodoxe en Ukraine, qui est en réalité le foyer de plusieurs Églises ayant des traditions, juridictions et affiliations bien distinctes. En effet, contrairement au catholicisme, l’orthodoxie ne constitue pas une Église unifiée avec un chef unique. Elle est composée de plusieurs Églises autocéphales, c’est-à-dire indépendantes mais qui ne sont toutefois pas séparées, puisqu’elles n’ont aucune différence doctrinale. Ces Églises dépendent d’un patriarcat, une juridiction écclesiastique dirigée par un patriarche.
Tout d’abord, l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev qui constitue une juridiction autocéphale.
Cette première Église orthodoxe ukrainienne en terme de fidèles a obtenu son indépendance canonique en 2018 de l’Eglise orthodoxe russe en fusionnant le Patriarcat de Kiev, créé en 1992 par le métropolite Philarète, dissident du Patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale, issue quant à elle de la première indépendance du pays (1917-1920).
C’est la première fois que l’Eglise orthodoxe d’Ukraine est indépendante, après avoir relevé de la juridiction de Constantinople depuis la propagation du christianisme et de Moscou depuis le XVIème siècle.
Cette rupture a été poussée par le Patriarcat de Constantinople, qui a repris le contrôle du siège ukrainien de l’Eglise orthodoxe des mains de l’Eglise orthodoxe russe. Motivée par un souhait d’indépendance religieuse de Moscou et de la Russie en général, elle se trouve dans la continuité d’un conflit identitaire entre les deux pays.
En effet, la Russie qui réunit dans le patriarcat de sa capitale des fidèles ukrainiens, utilise la religion pour supporter le récit dominant russe qui véhicule l’idée que l’Ukraine fasse partie intégrante de son identité culturelle.
Historiquement la plus grande l’Église orthodoxe en Ukraine, l'Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou compte encore un cinquième des fidèles ukrainiens. D’après sa hiérarchie ecclésiastique, ces derniers craignent une “persécution massive”, un motif pour que la Russie intervienne militairement sur le territoire ukrainien. Ainsi, l'actuelle guerre entre l’Ukraine et la Russie a également une dimension religieuse
Après avoir perdu une partie de ses fidèles avec l’autocéphalie de 2018, elle est aujourd’hui fortement menacée. Ce jeudi 19 octobre 2023, le Parlement ukrainien a adopté en première lecture un projet de loi interdisant l’Eglise orthodoxe ukrainienne dépendante du patriarcat de Moscou sous la justification que l’organisation soutient l’invasion russe. Le texte proposé interdit toute activité d'"organisations religieuses" affiliées avec "le pays effectuant l'agression armée contre l'Ukraine".
Le catholicisme en Ukraine : histoire et différents rites
L’origine du catholicisme en Ukraine est due à l’Union de Brest. C’est au XVIème siècle, qu’une partie de la population ukrainienne, habitant principalement l’ouest du pays, se joint à cette union. Ils optent ainsi pour un accord permettant à certaines Eglises orthodoxes de passer sous l’autorité du pape tout en conservant leurs traditions liturgiques orientales comme l’adoration des icônes. Ces fidèles constituent la branche de l’Eglise catholique appelée Eglise gréco-catholique ukrainienne et correspondent aujourd'hui à 9% de la population ukrainienne croyante.L’Eglise catholique qui signifie littéralement “l’assemblée universelle”, est une religion réunissant les chrétiens reconnaissant l’autorité spirituelle et juridictionnelle du Pape, chef de l’Eglise catholique et successeur de Saint Pierre selon la tradition apostolique.
La religion catholique présente plusieurs formes de pratique selon les cultures et zones géographiques appelées “rites”. Ainsi, les gréco-catholiques sont en communion avec l’Eglise de Rome mais pratiquent le rite byzantin ou oriental, proche de celui de l’Eglise orthodoxe orientale.
Le reste des chrétiens catholiques ukrainiens sont catholiques de rite latin ou romain.
Ils constituent une minorité religieuse à hauteur de 1% de la population croyante. Principalement dans l’ouest du pays, ils pratiquent la forme de pratique liturgique la plus courante dans la religion catholique, que l’on retrouve notamment dans les pays occidentaux comme en France.
Relations entre orthodoxie et catholicisme en Ukraine
D’un point de vue dogmatique, le catholicisme et l’orthodoxie se rejoignent sur de nombreux points. Ces deux confessions chrétiennes reconnaissent l’importance de la Tradition dans l’établissement de leurs dogmes. Cela signifie qu’elles ne suivent pas uniquement la Bible mais également les enseignements des apôtres qui ont participé à fonder les premières Églises chrétiennes.Ces deux Églises, de tradition apostolique, partagent de nombreuses similitudes de foi chrétienne à commencer par la croyance fondamentale en un Dieu trinitaire, révélé sur Terre par Jésus-Christ.
Elles partagent également des liturgies riches en symboles et rituels, mettant au cœur de la célébration l’Eucharistie.
Les orthodoxes comme les catholiques vénèrent les Saints et la Vierge Marie.
Enfin, l’Eglise comme institution est centrale dans ces deux confessions chrétiennes.
Elle est une autorité pour l’ensemble des fidèles et c’est par elle que Dieu leur communique sa grâce et transmet l’enseignement chrétien, notamment par l’initiation et la pratique des sacrements.
Les divergences théologiques et historiques subsistent cependant comme au sujet de la primauté du Pape, que les orthodoxes ne reconnaissent pas comme le chef de leur Église.
Par ailleurs, le Pape François tout comme son prédécesseur Benoît XVI a privilégié le discours oecuménique en direction de l’orthodoxie. En s’engageant dans une forme de rapprochement interconfessionnel, il a ainsi rencontré le Patriarche de Moscou à la Havane en 2016.
L’actuelle guerre avec la Russie est vue comme un danger pour leur prospérité en tant que groupe religieux par les gréco-catholiques ukréniens. Comme l’a rappelé Mariana Karapinka, une catholique ruthène (Eglise catholique orientale non unifiée présente en ukraine, Slovaquie, Hongrie et Tchéquie) de Philadelphie, « chaque fois que la Russie a pris dans l’Histoire, le contrôle de l’Ukraine, l’Église catholique ukrainienne a été détruite »
Conclusion
- La religion chrétienne en Ukraine constitue un point commun fort au niveau des croyances et valeurs pour la majorité de sa population mais n’assure cependant pas une unité confessionnelle du peuple.
Au sein même de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, la division est désormais extrêmement marquée depuis 5 ans entre les ukrainiens orthodoxes qui ont décidé de s’attacher à l’Eglise indépendante de leur pays et ceux qui comme leurs ancêtres restent obéissants au patriarcat de Moscou et à l’influence politico-religieuse de la Russie que l’Etat ukrainien cherche à renverser.
Les différences dogmatiques et organisationnelles de l’orthodoxie et du catholicisme sont telles que ces deux Églises ne se considèrent pas comme sœurs bien qu’elles aient été unifiées pendant un millénaire. Du point de vue orthodoxe, leur confession constitue même une religion à part et les conflits courants entre ces groupes religieux révèlent une tension historique et géopolitique.
Pourtant, la fraternité semble évidente et naturelle entre catholiques et orthodoxes ukrainiens qui se ressemblent tant par la pratique d’un christianisme oriental aussi bien dans le rite catholique byzantin que dans la liturgie orthodoxe d’Europe de l’est.